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Café-Psycho : avril 2017 : Le conflit

Le 24 avril 2017
Café-Psycho : avril 2017 : Le conflit
La relation avec autrui est-elle nécessairement conflictuelle ?

La relation avec autrui est-elle nécessairement conflictuelle ?

Nos relations aux autres peuvent-elles ne pas être violentes, ne pas prendre la forme d'affrontements ?
 
Qu'est-ce qu'une relation ? Qu'est-ce qu'un affrontement ?

1 Il y a très souvent des conflits, mais peut-être pas toujours

Quand on rencontre une personne, on ne pense pas qu'on rentre en conflit. La relation est bienveillante, sociable ou neutre. Le conflit est une modalité parmi d'autres de notre rapport aux autres. Il y a un paradoxe : s'il y a conflit, comment peut-il y avoir rencontre ? Si nous pensions que le conflit en est la seule possibilité, il n'y aurait jamais de rencontre. Cependant, il y a souvent des conflits.
C'est un sujet qui a intéressé de nombreux philosophes, et on peut citer Sartre, Hegel, Hobbes, Kant, Levinas.
Pour Sartre, Hegel, Hobbes, c'est par la nature même de l'homme que les relations sont nécessairement conflictuelles. Ainsi, pour Sartre, « Le conflit est le sens originel de la relation à l'autre » (L'Etre et le Néant). La relation à l'autre est marquée par l'exigence de reconnaissance et il y a nécessairement conflit, parce que la rencontre est celle de deux libertés qui s'excluent l'une l'autre.
L'Autre est un Moi qui n'est pas moi. Il peut être désigné comme un semblable, c'est un Moi, mais en même temps il est autre. Il y a une étrangeté de l'autre, et c'est parce qu'il inquiète, qu'il fait peur, qu'on va entrer en conflit. Rousseau écrit que pour le Sauvage, le premier homme qu'il rencontre n'est pas désigné comme un homme, mais comme un géant. PourThomas Hobbes, à l'état de nature nous sommes en guerre contre tous. C'est au moins un état de tension.
Pour certains auteurs, la relation avec autrui est donc nécessairement conflictuelle. Ce n'est cependant pas toujours le cas, sinon la vie en société serait impossible. Or la relation peut être amicale, amoureuse... Cependant, si on interroge l'amitié, un mot, un ton, presque rien, peut brouiller à mort deux amis. Une relation d'amitié cache peut-être du conflit ? Et la pitié ?
Pour qu'il y ait une vie sociale, il est nécessaire de sortir du conflit.

2 Pourquoi y a-t-il des conflits ?

Comment le conflit peut-il être le sens originel de la relation à l'autre comme le pensent Sartre ou Hobbes ? Parce que deux libertés s'affrontent nécessairement pour Sartre, et pour Hobbes parce que la nature de l'homme est d'abord l'insociabilité : l'homme est naturellement égoïste et naturellement en conflit avec ses voisins, car être de désir, il désire les désirs de ses voisins. Il est donc naturellement le rival de son prochain qu'il cherche à assujetir. On le constate dans les cours de récréation, mais aussi dans les relations amoureuses. Et le dixième commandement interdit le désir, afin d'interdire la violence : « Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, rien de ce qui est à lui. »
Le conflit a pour effet d'abolir l'altérité : autrui est toujours celui qui me résiste, parce qu'il est autre. Ce qui est en jeu est la relation d'un Moi avec autrui. Il faut réfléchir sur la nature du Moi qui a tendance à se préférer aux autres. Pour Pascal « Le Moi est haïssable » parce qu'il se veut tyran de tous les autres.
Pour Kant : l'homme est à la fois sociable et insociable : à la fois enclin à aller vers autrui et à lui porter secours, et enclin au conflit.
C'est ce que confirment les biologistes, pour qui l'homme présente à la fois les caractéristiques d'un primate assez agressif, mais pas trop. A l'instar des chimpanzés, l'homme vit des relations politiques, caractérisées par des rivalités et des alliances. Dans les groupes humains préhistoriques et chez les chimpanzés, ces rivalités sont atténuées par le fait que contrairement à ce qui se passe généralement dans le monde animal, ce sont les femelles chimpanzés, ou les femmes, qui quittent le groupe à la puberté pour rejoindre un autre groupe. La rivalité entre les mâles d'un groupe est atténuée par le fait qu'ils sont tous parents. (Chez les Primates, lorsqu'il y a beaucoup de rivalité entre les mâles, ceux-ci ont des grosses canines.)

3 Comment sortir du conflit ?

Les philosophes comme Levinas font appel à la responsabilité pour sortir du conflit. C'est le sens de l'éthique qui va permettre de rencontrer l'autre et comme Baudelaire, d'avoir honte d'avoir trop quand l'autre manque de tout. S'il y a un Moi égoïste, il y a aussi un moi éthique. L'Etat, la justice, les institutions permettent de dépasser les conflits, sans quoi il n'y aurait pas de sociabilité. Dans le « Tu ne tueras point » il y a un appel à la responsabilité qui interdit toute forme d'égoïsme.
Heureusement, toutes les relations ne font pas appel à l'Etat : dans la caresse, on approche l'autre sans vouloir sans saisir, on ne fait que rechercher l'autre. Nos relations avec les autres, par principe, ne peuvent être de vraies relations que si elles ne sont pas conflictuelles. Que je le veuille ou non, l'autre me regarde et m'adresse un appel, et même un appel au secours.
Parfois la rencontre peut s'exprimer à travers un conflit, et ressortir plus forte : il y a des conflits qu'il vaut mieux ne pas fuir et qu'il vaut mieux avoir vécu. La relation est toujours complexe, il faut dépasser les conflits, parfois inévitables et nécessaires, sans quoi il n'y aurait pas de sociabilité.
On peut convertir la crainte de l'autre en crainte pour autrui, Or en quoi consiste la violence du conflit, si ce n’est en une forme d’allergie à l’égard de la différence de la personne de l’autre ? Rencontrer une personne autre – la saluer – c’est déjà renoncer à la violence.
Toute relation avec autrui n'est pas nécessairement conflictuelle mais elle est risquée.

4 Et pratiquement ?

Schématiquement, on peut dire que dans un conflit, on adopte une des trois positions de persécuteur, de victime ou de sauveur. La première chose à faire est de repérer quels rôles on joue pour pouvoir en sortir. Comprendre l'objectif de l'autre, mais aussi être clair avec soi-même va permettre de réorienter le dialogue.
On va ensuite régler le conflit, à moins que, comme c'est souvent le cas dans les couples, celui-ci ne se soit déclenché pour des raisons insignifiantes et qu'il soit totalement inutile d'en reparler. Ne jamais oublier de se demander s'il y a un avantage à régler ça.
Pour dénouer le conflit, lequel ne se règle jamais à chaud,il faut donc discuter, et pour cela organiser une rencontre. Cette rencontre sera préparée en se posant 5 questions :
  • Quels faits me posent des problèmes ?
  • Quelles sont mes émotions ?
  • De quoi ai-je besoin ?
  • Qu'ai-je à gagner à résoudre ce conflit ?
  • Quelle demande concrète vais-je formuler ?
L'organisation de la rencontre exige de trouver un moment où chacun est disponible, et un endroit convenable : neutre, confortable, et favorisant la confidentialité.
La première règle de la discussion est la bienveillance, et on n'oublie pas de le rappeler. En particulier dans une relation amoureuse, on ne doit pas perdre de vue que l'on ne peut être que coéquipier dans l'objectif de construire une relation aussi belle que possible ensemble. On rappelle aussi que le but de la discussion est de chercher une solution. Enfin, il est indispensable d'écouter l'autre avec empathie et de se montrer conciliant. La solution trouvée doit satisfaire toutes les parties.

Bibliographie

VAN RETH A. Les chemins de la philosophie, Sébastien Labrusse, France Culture, 07/02/2017
PICQ P. Les origines de l'homme, L'odyssée de l'espèce, Editions Tallandier 1999 Points Sciences 2005.
PICQ P. L'homme est-il un grand singe politique ? Odile Jacob 2011.
WAAL F. de, L'âge de l'empathie, Leçons de la nature pour une société solidaire 2009, Traduction française 2010 Babel Essais.
FÉBO A., Les 5 clés pour gérer les conflits au travail, Dunod, 2015.

On peut lire aussi de Bernard Prieur et Sophie Guillou L'Argent dans le couple chez Albin Michel 2007.